prélude pour une clinique psychosociale
« Une santé
mentale suffisamment bonne peut être définie
comme la capacité de vivre et de souffrir
dans un
environnement donné et transformable,
sans destructivité mais non pas sans révolte »
in Furtos J., Laval C. (Sous la dir de)
La santé
mentale en actes, de la clinique au politique
Ed.
Eres (2005), page 32
Eléments contextuels
La situation sociale actuelle
produit de nouvelles formes de souffrance.
Des problématiques de vies insensées, impensables, de grande exclusion, confrontent les travailleurs du social au bouleversement de leurs repères professionnels et favorisent des décisions politiques flottantes ou extrêmement segmentées.
L’état social tend à devenir un auxiliaire correcteur et gestionnaire des dysfonctionnements majeurs causés par l’autonomie prise par la logique économique.
Des problématiques de vies insensées, impensables, de grande exclusion, confrontent les travailleurs du social au bouleversement de leurs repères professionnels et favorisent des décisions politiques flottantes ou extrêmement segmentées.
L’état social tend à devenir un auxiliaire correcteur et gestionnaire des dysfonctionnements majeurs causés par l’autonomie prise par la logique économique.
Les réponses classiques aux troubles de comportement et de socialisation
des jeunes étaient connues : correction, mises à l’écart, médicalisation,
judiciarisation, enfermement… Ces
pratiques n’ont pas été oubliées, mais il est clair qu’elles sont actuellement
perçues comme trop tardives, inopérantes, et parfois même nuisibles. Et puis, que faire lorsque c’est
le fonctionnement même de la société qui est mis en question comme producteur
de défaillances, d’inadaptations, de désaffiliation (Castel 1998) ?
Nouvelles formes de pathologies
Les psys, au sens large, se réfèrent
en général à des théorisations
individuelles qui préconisent des traitements individuels et une forme de
psychologisation qui réduit la complexité des formes de subjectivation. Il
apparaît dès lors indispensable d’articuler autrement les formes d’intervention. La prise en compte des appartenances
groupales, anthropologiques, économiques, politiques et sociales donne accès à
un champ de santé mentale dans lequel la psychologie/psychiatrie n’est plus
qu’un des éléments clef de ce champ. L’approche « psy » se conjugue
alors à d’autres regards pour construire des approches plus adaptées aux
terrains sensibles.
On peut dès lors travailler sur
les effets psychiques de la « mauvaise » précarité, celle qui a pour
horizon ultime le sentiment de ne plus appartenir à la communauté des humains
(Furtos 2008).
Furtos explicite ce qu’il dénomme
le syndrome « d’auto-exclusion » : au bout du désespoir, le
sujet sort de lui-même pour rester en vie ; il doit alors s’empêcher de
vivre et de souffrir avec autrui pour rester vivant. Le sujet reste
effectivement vivant, mais à l’envers, ce qui n’est pas sans effet sur les
personnes qui sont en contact avec lui : cette manière d’éviter le contact
favorise un surcroît de rejet et/ou de rétorsion, peut-être même l’oubli ou la
répulsion.
Ce syndrome naît d’une triple
perte de confiance : en soi-même, et l’on parle alors de troubles du
narcissisme, en autrui, ce qui conduit à
l’isolement et la paranoïa sociale, en l’avenir, d’où découle un sentiment
collectif de décadence, forme de mélancolie sociale. De nombreux adolescents et
jeunes adultes développent des symptomatologies variées qui interrogent cette
manière de s’auto-exclure.
Vous reconnaîtrez, dans ce processus, l’envers
de ce qui constitue la « bonne » précarité, celle dont chaque petit
humain fait l’expérience à travers ses détresses infantiles et qui le
conduisent à construire une triple confiance : en lui-même, en autrui, et
en l’avenir.
Transversalisation des services
Ces nouvelles formes de
pathologie ont progressivement induit le développement de prises en charge
complexes, ouvertes sur les ressources du réseau social élargi. Voici quelques
exemples de projets et services, très différents, qui oeuvrent dans ce sens.
Autour des écoles, des centres de
proximité, implantés dans les quartiers, assurent tout aussi bien le soutien
scolaire qu’un partenariat actif école-famille, ainsi que l’accueil et l’écoute
de toute situation de détresse familiale ; des groupes de pairs (parents,
jeunes, travailleurs ou enseignants) peuvent être mis en place.
A Bruxelles, par exemple, un
Service de santé mentale implanté dans un quartier défavorisé et précarisé,
développe l’approche psychosociale adaptée au traitement de problématiques
psychiatriques (enfant et/ou adultes) ; une équipe de « Promotion de
la santé mentale communautaire » développe conjointement une approche de
mise en commun des ressources, d’échanges et de formation. Toute personne
confrontée à une question de communauté, de groupe d’appartenance, peut faire
appel à cette équipe qui élabore avec les demandeurs une stratégie
d’intervention adaptée. Par exemple, si un problème de voisinage devient
critique au sein d’habitations à loyers modérés (HLM), quelques réunions
avec les personnes impliquées dans le problème permettront de rétablir la
communication et les engagements réciproques.
Ce service soutient également la
coordination des réseaux d’échanges réciproques de savoirs ( RERS) pour la
région de Bruxelles-Capitale. Ces projets mettent en relation un offreur et un
demandeur de savoir, sans limitation de sexe, d’âge ou de statut social. Encore
faut-il avoir procédé au repérage des savoirs, à la compréhension de l’offre et
de la demande, ainsi qu’à la mise en relation de l’offreur et du demandeur afin
de préciser les conditions de l’échange ( où ? quand ?
comment ?), le nombre des rencontres et leur mode d’évaluation. Le terme
de « réciprocité » engage chacun quant au fait d’être à la fois
offreur et demandeur, d’être tour à tour enseignant et apprenant, d’accepter de
se retrouver dans les deux postures. Cette réciprocité est indirecte : je
peux apprendre une recette de cuisine avec Yvette et offrir l’aide à l’écriture
d’un rapport de stage à Béatrice qui, elle, offre la technique de la broderie à
Yasmine et Brigitte qui chacune vont offrir à leur tour… Ces échanges sont
fondés sur des principes simples : tout le monde a des savoirs ; tout
savoir peut être transmis ; transmettre son savoir est valorisant. La
personne qui transmet son savoir est obligée de s’interroger sur les conditions
d’intégration de ce savoir : Qu’est-ce qui m’a permis d’apprendre ?
Comment vais-je transmettre ? Pour transmettre son savoir, un retour
réflexif sur sa propre démarche d’apprentissage est indispensable. L’essentiel
est dit, mais la mise en œuvre d’un tel projet collectif demande bien sûr une
grande vigilance.
Le SAS, Service d’aide à la
scolarité, accueille pour une année un groupe de jeunes en situation de
décrochage scolaire. Des entretiens préalables, aussi bien avec les écoles qui
doivent être d’accord de les réinscrire après leur année d’écartement, qu’avec
les parents et le jeune, permettent d’analyser les situations et l’adhésion du
jeune à ce projet. Les jeunes se retrouvent dans un emploi du temps
quasi-scolaire, sauf que les activités sont toutes centrées sur des activités
d’expression (vidéo, théâtre, musique, danse, peinture, cirque,…) qui vont les
confronter à d’autres manières d’être en
situation d’apprentissage en groupe. Il est question d’oser découvrir des
nouvelles potentialités, de retrouver le plaisir de faire et d’apprendre, de
changer le regard sur soi et sur les autres. Ce sont des projets plein de
turbulence qui vivent au rythme de jeunes déstructurés et destructurants.
Le « Dépannages d’urgence et de nuit (DUNE) » est
organisé autour de travailleurs de rue qui ouvrent en soirée deux comptoirs
d’échange de seringues, et qui circulent dans les lieux urbains identifiés
comme lieux à risques du point de vue
de la consommation et la vente de drogues pour faciliter l’accès aux mesures de
réduction des risques sanitaires. Les travailleurs favorisent ainsi la création
de liens de présence et de paroles.
En Belgique, depuis l’année 2002,
chaque citoyen peut se porter candidat pour devenir tuteur d’un mineur étranger
non accompagné (M.E.N.A.). Dès que cette
candidature est agrée par le Service des tutelles (Ministère de la Justice), le
tuteur est chargé de la tutelle d’un Mena (qui peut être âgé de quelques mois à
17 ans). Il doit alors accompagner celui-ci dans toutes les démarches
nécessaires à l’obtention d’un droit de séjour auprès de l’Office des
étrangers, ainsi qu’à toutes démarches visant à lui assurer la sécurité dont il
a besoin : accueil, hébergement, soins de santé, conditions de scolarité
ou de formation en fonction de son âge, et ceci jusqu’à sa majorité. Le tuteur est ainsi amené à collaborer avec
un très grand nombre de services psychosociaux qui peuvent l’aider dans la
responsabilité parentale qu’il assume de manière transitoire en l’absence
d’autres garants identifiés. De nombreuses questions se posent sur ce que peut
être un accompagnement suffisamment distancié, ni trop proche, ni trop
lointain, en fonction des âges et des problématiques, de jeunes aux prises avec des histoires de vie très
chahutées.
Travailler ensemble et multiplier
les regards
Bien d’autres exemples pourraient encore venir
étayer l’hypothèse d’avoir à inventer de nouvelles formes de pratiques. Car il
est d’abord urgent de résister à la contamination de l’impuissance qui gagne
les professionnels confrontés à des situations sociales gravement dégradées qui
demandent l’articulation de plusieurs services. L’usure des professionnels est
souvent relative aux épreuves de cette
professionnalité : confrontés sans cesse à des situations qui paraissent
sans issue, à ce qu’on pourrait appeler une « clinique de la
plainte », les professionnels font, la plupart du temps, face à des cadres
d’action contradictoires avec lesquels ils doivent composer et agir de manière
solitaire et invisible. Cette invisibilité est l’attribut de tous ceux qui sont
eux-mêmes leur propre outil de travail et qui, quelles que soient leurs
prescriptions de travail, ne peuvent compter que sur leurs propres capacités
relationnelles pour les mettre en pratique.
Heureusement, le développement de
projets communautaires et des pratiques de réseaux a permis de mettre l’accent
sur les ressources des personnes, tant celles des professionnels que celles des
utilisateurs. Le regard ne se fixe plus uniquement sur les plaintes et souffrances. Il s’agit alors de travailler dans, et à
partir, des communautés. Qu’est-ce qui fait « soin » pour un individu
donné ? La religion, la magie, la guerre, la communauté
d’appartenance… apportent incontestablement des réponses aux souffrances
humaines. En tant que professionnel, nous nous devons de nous obliger à penser
à l’extérieur de notre « boîte de Pandore » professionnelle
pour explorer ce qui est important pour l’utilisateur dans son contexte. Il est
fondamental aussi que nous nous engagions dans un regard critique sur notre
propre background professionnel pour être en capacité de rester aux côtés des
usagers, accessibles à la complexité et la diversité des identités personnelles
et culturelles.
Les réseaux de professionnels comportent des
risques : d’abord celui d’une espèce de « babélisation »
(chacun parle sa langue et personne ne se comprend) ; et celui des
conflits éthiques (souvent autour du secret professionnel partagé :
partager quoi ? avec qui ?). Quelques principes éthiques servent
utilement de repères : ne pas nuire, travailler avec l’accord de
l’utilisateur, accord fondé sur le
respect, la dignité et la protection des droits des utilisateurs.
Quel que soit le contexte,
partageons le goût de vivre, en relations .
Christine
Vander Borght
Psychologue,
formatrice, superviseur
Bibliographie
AUSLOOS G., (1995) : La compétence des familles , Erès,
Toulouse
CASTEL R., (1998) : Du travail social à la gestion sociale du
non-travail, in Esprit, A quoi sert
le travail social ?
DUCOMMUN-NAGY C., (2006) : Ces loyautés qui nous libèrent, Lattès, Paris
FURTOS J., (2008) : Les cliniques de la précarité, Masson, Genève
HEBER SUFFRIN C. et le MRERS,
(2001) : Partager les savoirs,
construire le lien, Chronique
Sociale, Lyon
PHARO P., (2001) : La logique du respect, Le Cerf, Paris
VANDER BORGHT C., (sous la dir.)
(2007) : Qu’est-ce qui fait autorité
dans les institutions médico-sociales ? Erès, Toulouse
Publié dans : Terrains sensibles : stratégies et projets d’intervention, Revista « Anduli », « Violencia juvenil y ecologia, en territorios urbanos », n° 9, departamento de sociologia, Séville, 2009.
Résumé
Avec des jeunes qui sont en décrochage scolaire, qui perdent confiance
en eux-mêmes et en autrui, et pour lesquels il semble qu’aucun avenir ne soit
plus à espérer, chaque professionnel est sollicité pour trouver de nouvelles
formes de prises en charge ouvertes à la complexité des situations et à la
transversalité du réseau social. Différents exemples seront présentés dans cet
article. Avec le souci de maintenir vivantes les relations avec les personnes
en difficulté, et avec les professionnels impliqués.
Mots clés : Auto-exclusion
sociale – travail de réseau - éthique
professionnelle
With young people who are school leavers, who lose confidence in
themselves and in the others, and when they do not see any
future, each professional is asked to find new ways to intervene. These ways have to be open to the complexity of situations and to the social network’s transversality. Several examples are presented in this article, each of them taking into account the relationships between people in difficulty and involved professionals.
future, each professional is asked to find new ways to intervene. These ways have to be open to the complexity of situations and to the social network’s transversality. Several examples are presented in this article, each of them taking into account the relationships between people in difficulty and involved professionals.
Key words : social self exclusion – social network – professional ethics
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