Pratiques de l'institutionnel

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25/07/2019

Un spectre d'émotion : parcours subjectif avec les familles.



 
Un spectre d'émotion...



 Un spectre d'émotion :
Parcours subjectif avec les familles.

Christine Vander Borght



Les grains de sable affectant les familles sont par définition des éléments ténus, sans grande importance en comparaison avec l’étendue de la plage ou de la mer, mais ils sont capables de gripper les rouages de machines énormes ou dotées de la technologie la plus sophistiquée. Au niveau microsocial, ce sont des écueils qui peuvent briser des destins, affaiblir les familles et remettre en question les valeurs sur lesquels elles s’appuyaient jusqu’à l’irruption d’une crise qui bouleverse leur quotidien.

Approcher les problématiques familiales demande une prise de hauteur par rapport aux drames intimes et relationnels, générateurs de souffrance, qui constituent actuellement une part importante du travail des intervenants psychosociaux. Cette distanciation nous amène à réfléchir autant en termes d’égalité de genre, d’appartenance, de flexibilité culturelles, de changements des procédures juridiques, d’évolution des rôles parentaux, qu’en fonction des processus d’attachement et de séparation liés à une situation familiale particulière. Le spectre à survoler est donc large, pour permettre de mieux comprendre de quelle place, et avec quel mandat un professionnel intervient dans une situation familiale. Nous utilisons ici le mot spectre dans son sens physique, reprenant la définition donnée par Newton en 1671 « images juxtaposées formant une suite ininterrompue de couleurs  correspondant à la décomposition de la lumière blanche » (Le Robert). Retenons de cette métaphore les couleurs de l’arc-en-ciel, qui s’ajustent en fonction d’éléments météorologiques, se divisant et se nuançant selon le regard qui lui est porté. 


Dans le décours de ma vie professionnelle, j’ai occupé différentes places, dans plusieurs organisations psychosociales, avec des mandats qui ont amené au fil des années différentes modalités de mise en relation et d’intervention auprès des familles. J’y ferai progressivement référence en suivant une chronologie temporelle alignée sur l’évolution des pratiques de ce secteur, essentiellement en Belgique et en France.



07/05/2019

21 ans - Soin dit en passant BABEL

21 ans  

Soin dit en passant 

BABEL

Journée d'étude et soirée festive
La Tricoterie
Vendredi 3 mai 2019



Alors, elle est BABEL, la vie ?
Le mot de Christine Vander Borght

Exploration de quelques motifs retenus à partir de la tapisserie, ouvrage d’art qui nous a été présenté collectivement aujourd’hui.
BABEL : Intéressons-nous aux mythes et aux métaphores.  Selon la Genèse, chap. 11, versets 1 à 9, Babel est le nom donné par la Puissance divine à une ville dont elle brouilla la langue pour s’opposer à l’unicité et avoir à se coltiner l’obligation de faire avec les différences. Sacré défi, depuis lors, d’avoir à se comprendre.
ACCUEIL : le mot le plus proche étant ABRI, XII ème s., se réchauffer, se chauffer au soleil, se mettre à l’abri. Il est question de la manière de se comporter avec quelqu’un, quand on le reçoit ou quand il surgit à l’improviste.  Réunir, associer, adjoindre. Nous trouvons aussi la référence à «  colligere » = Cueillir, recueillir ce qui vient,  ce qui est dit, ce qui est déposé et témoigné par chacun, en tant que personne unique et à nulle autre pareille.
ACCORD : (accordage, accorder, accordoir, accordeur) État qui résulte d’une communauté ou d’une conformité de pensées, de sentiments ; entente, harmonie, fraternité… Pour Hannah Arendt (1961, La condition de l’homme moderne), ce qu’elle nomme  la condition humaine de pluralité, implique … de vivre avec autrui dans la modalité du parler et de l’agir.
ÉQUIPE/COLLECTIF : au XII ème s., il était question de s’embarquer sur le même bateau ; équipe et équipage, au départ d’un frêle esquif, se retrouvant engagés dans une expédition maritime, non sans risque de s’affronter à l’épreuve et à l’éprouvé. La navigation dans  la traversée des sciences dites « humaines »,  ne nous situe jamais dans le champ de la preuve.
SOIGNER : au XIIème s. : être préoccupé, s’occuper de, veiller au bien être ou à la santé de quelqu’un ; ce mot se trouve en lien étymologique avec « besogner » et « besogneux » : qui est dans le besoin. Le lien de réciprocité est amorcé : l’un s’occupant de l’autre. Se confronter à la rencontre, au risque de la rencontre et à un possible  « avec », jamais acquis ; avec un sujet qui adhère à des représentations qui le tiennent enfermé dans son malaise. « Faire soin », soin dit en passant par des tours et détours. Aussi sérieux soit-on dans l’écoute, parler ne suffit pas, nous avez-vous dit. Ainsi, d’autres modalités croisées viennent se joindre au travail de la parole : avoir une place, s’inscrire, être soutenu dans les registres de nécessité urgente, de traitement, bref une combinaison de paroles et d’actions.
Soigner, c’est aussi prendre soin de soi et du groupe d’appartenance formé par les soignants. Car il faut pouvoir supporter les impasses, faire face à ce qui brouille les pistes, dans le souci de ne pas « déborder » : sortir du cadre, ou l’assouplir, ou au contraire, remettre des limites. Border  et être bordé, on voit bien tout l’aspect sécurisant de ce portage, qui prendra différentes formes :  il peut, par exemple, être présentifié par une liste de courses à faire, un café bien tempéré, ou par la recherche d’un lieu où dormir, etc. Beaucoup d’exemples nous ont été donné de ces inventions et ajustements aux demandes parfois surprenantes.
Qu’est-ce qui soutient et permet ainsi à l’équipe de tenir bon ? De s’adapter sans cesse, se consulter, inventer ensemble une réponse adéquate face à un cheminement dont personne ne peut anticiper la destination ?
SUBSTANCES (Le Robert) : référence à une double origine : à la fois sustance  = biens et richesses, et substare = se tenir dessous, ce qui soutient. Donc différents sens possibles en fonction du radical : « une partie essentielle : ce qui est permanent dans un sujet susceptible de changer » ; et aussi : « Ce qui nourrit l’esprit, les sentiments,…les rêves ; la matière caractérisée par ses propriétés ».
CROYANCES : vaste champ d’exploration, fortement reliées à la notion de mythe. On y passe de la notion de certitude, ce qui est vrai, ce qui fait vérité, ce à quoi on peut se raccrocher, à celle de superstition et d’ignorance. Les références théoriques et scientifiques sont intégrables comme convictions et modèles de soins et d’action, soutenues par l’éthique de travail.
ÊTRE ADULTE : Devons-nous, à chaque instant, paraître adulte ? Comment déclinons-nous chacun  les idées d’achèvement, de maturité, de stabilité et d’équilibre? Est-ce une chimère inatteignable ? Un mythe ? Sommes-nous toujours conscients de l’application que nous mettons à jouer l’apparence et la conformité à la « personnalité formelle » à laquelle une part de nous s’identifie ? Dans sa lecture de Flaubert, Sartre (1971, L’idiot de la famille)  a longuement décrit  la comédie des choix que joue l’enfant pour suivre les choix supposés ou obligés de ses parents. On trouve chez Gombrovicz (1964) un clair plaidoyer pour rester un humain  en train de se déployer, et qui garde une méfiance lucide à l’égard d’une forme qui serait « achevée ».  Il parle alors de la  dure enfance de l’adulte, comme d’une immaturité à conquérir sans cesse. Cet énoncé pourrait-il, d’une certaine façon, correspondre à l’injonction  lacanienne de   ne pas céder sur son désir ?
LIBERTÉ : Être libre, affranchi, mais cela aussi, l’être sans outrance. (G. 1960).  Il y a un rythme, une musique, dans vos récits que j’entends comme l’expression de l’usage de votre liberté et de votre responsabilité professionnelle.
PROCESSUS : L’histoire que commence un acte se compose des faits et des souffrances qui le suivent. Ces conséquences sont infinies, car l’action, bien qu’elle puisse, pour ainsi dire, venir de nulle part, agit dans un médium où toute action devient réaction en chaine et où tout processus est cause de processus nouveaux.  (Hannah Arendt 1961). Nous entrons ainsi dans le jeu de l’interhumain. Qui commande  l’autre ? Qui est au service de l’autre ? Qui dit quoi à qui ? Qui influence qui ? Au nom de quoi ? Le jeu du vrai et du semblant ? Le dévoilement se livrant  sans doute  sur le mode de l’insaisissable : on ne sait pas vraiment ce qui marche, on essaie, disiez-vous.
DÉPENDANCE : Rapport qui fait qu’une chose dépend d’une autre = interdépendance, solidarité. Et son contraire : le fait pour une personne de dépendre de quelqu’un ou de quelque chose : assujettissement, esclavage, ou encore addiction.
Une question que j’aurais aimé  mettre au travail avec vous : Comment se sépare-t-on de vous ?
RÉSEAU : Filet de sécurité pour éviter la chute ou enfermement clanique, tel un réseau mafieux ou de résistance. À Babel, chacun est en position d’avoir à s’en libérer ou à  tisser et retisser les mailles de son filet pour qu’il devienne assez soutenant sans être enfermant. Personne ne peut survivre bien sans un réseau minimum, sorte de base de sécurité en cas de coup dur ; et l’on sait que ceux dont le filet de protection est troué, ou trop resserré, ceux-là devront, finalement, et presque forcément, être inclus dans des dispositifs de protection psycho-sociale, que ce soient les CPAS, les institutions d’accueil, les refuges, les hôpitaux psychiatriques ou les prisons, etc.
Voir à ce sujet l’outil de la « carte de réseau » à construire avec un consultant à partir d’un cercle partagé en 4 quadrants.
Ce que je retiens comme dernière image de ce que les professionnels  nous ont renvoyé aujourd’hui de leur travail à Babel, ce serait en référence à la poétesse Ingeborg Bachmann  (Poèmes 1942-1967, Gallimard 2015) et au titre d’un de ses poèmes :
ToutE personne qui tombe a des ailes