21 ans
Soin dit en passant
BABEL
Journée d'étude et soirée festive
La Tricoterie
Vendredi 3 mai 2019
Alors,
elle est BABEL, la vie ?
Le mot de Christine
Vander Borght
Exploration de quelques
motifs retenus à partir de la tapisserie, ouvrage d’art qui nous a été présenté
collectivement aujourd’hui.
BABEL : Intéressons-nous
aux mythes et aux métaphores. Selon la
Genèse, chap. 11, versets 1 à 9, Babel est le nom donné par la Puissance divine
à une ville dont elle brouilla la langue pour s’opposer à l’unicité et avoir à se
coltiner l’obligation de faire avec les différences. Sacré défi, depuis lors,
d’avoir à se comprendre.
ACCUEIL : le mot le plus
proche étant ABRI, XII ème s., se réchauffer, se chauffer au soleil, se mettre
à l’abri. Il est question de la manière de se comporter avec quelqu’un, quand
on le reçoit ou quand il surgit à l’improviste. Réunir, associer, adjoindre. Nous trouvons
aussi la référence à « colligere » = Cueillir, recueillir ce qui
vient, ce qui est dit, ce qui est déposé
et témoigné par chacun, en tant que personne unique et à nulle autre pareille.
ACCORD : (accordage,
accorder, accordoir, accordeur) État qui résulte d’une communauté ou d’une
conformité de pensées, de sentiments ; entente, harmonie, fraternité… Pour
Hannah Arendt (1961, La condition de
l’homme moderne), ce qu’elle nomme la condition humaine de pluralité, implique
… de vivre avec autrui dans la modalité
du parler et de l’agir.
ÉQUIPE/COLLECTIF : au
XII ème s., il était question de s’embarquer sur le même bateau ; équipe
et équipage, au départ d’un frêle esquif, se retrouvant engagés dans une
expédition maritime, non sans risque de s’affronter à l’épreuve et à l’éprouvé.
La navigation dans la traversée des sciences
dites « humaines », ne nous
situe jamais dans le champ de la preuve.
SOIGNER : au XIIème s. :
être préoccupé, s’occuper de, veiller au bien être ou à la santé de
quelqu’un ; ce mot se trouve en lien étymologique avec
« besogner » et « besogneux » : qui est dans le
besoin. Le lien de réciprocité est amorcé : l’un s’occupant de l’autre. Se
confronter à la rencontre, au risque
de la rencontre et à un possible « avec »,
jamais acquis ; avec un
sujet qui adhère à des représentations qui le tiennent enfermé dans son
malaise. « Faire soin », soin dit en passant par des tours et
détours. Aussi sérieux soit-on dans l’écoute, parler ne suffit pas, nous
avez-vous dit. Ainsi, d’autres modalités croisées viennent se joindre au
travail de la parole : avoir une place, s’inscrire, être soutenu dans les
registres de nécessité urgente, de traitement, bref une combinaison de paroles
et d’actions.
Soigner, c’est aussi prendre
soin de soi et du groupe d’appartenance formé par les soignants. Car il faut
pouvoir supporter les impasses, faire face à ce qui brouille les pistes, dans
le souci de ne pas « déborder » : sortir du cadre, ou
l’assouplir, ou au contraire, remettre des limites. Border et être bordé,
on voit bien tout l’aspect sécurisant de ce portage, qui prendra différentes
formes : il peut, par exemple, être
présentifié par une liste de courses à faire, un café bien tempéré, ou par la
recherche d’un lieu où dormir, etc. Beaucoup d’exemples nous ont été donné de
ces inventions et ajustements aux demandes parfois surprenantes.
Qu’est-ce qui soutient et
permet ainsi à l’équipe de tenir bon ? De s’adapter sans cesse, se
consulter, inventer ensemble une réponse adéquate face à un cheminement dont
personne ne peut anticiper la destination ?
SUBSTANCES (Le Robert) :
référence à une double origine : à la fois sustance = biens et
richesses, et substare = se tenir
dessous, ce qui soutient. Donc différents sens possibles en fonction du
radical : « une partie essentielle : ce qui est permanent dans
un sujet susceptible de changer » ; et aussi : « Ce qui nourrit
l’esprit, les sentiments,…les rêves ; la matière caractérisée par ses
propriétés ».
CROYANCES : vaste champ
d’exploration, fortement reliées à la notion de mythe. On y passe de la notion
de certitude, ce qui est vrai, ce qui fait vérité, ce à quoi on peut se
raccrocher, à celle de superstition et d’ignorance. Les références théoriques
et scientifiques sont intégrables comme convictions et modèles de soins et
d’action, soutenues par l’éthique de travail.
ÊTRE ADULTE :
Devons-nous, à chaque instant, paraître adulte ? Comment déclinons-nous
chacun les idées d’achèvement, de maturité, de stabilité et d’équilibre?
Est-ce une chimère inatteignable ? Un mythe ? Sommes-nous toujours conscients
de l’application que nous mettons à jouer l’apparence et la conformité à la
« personnalité formelle » à laquelle une part de nous
s’identifie ? Dans sa lecture de Flaubert, Sartre (1971, L’idiot de la famille) a longuement décrit la comédie des choix que joue l’enfant pour
suivre les choix supposés ou obligés de ses parents. On trouve chez Gombrovicz
(1964) un clair plaidoyer pour rester un humain en train de se déployer, et qui garde une méfiance lucide à l’égard
d’une forme qui serait « achevée ».
Il parle alors de la dure
enfance de l’adulte, comme d’une
immaturité à conquérir sans cesse. Cet énoncé pourrait-il, d’une certaine façon,
correspondre à l’injonction lacanienne
de ne pas céder sur son
désir ?
LIBERTÉ : Être libre, affranchi, mais cela aussi,
l’être sans outrance. (G. 1960). Il
y a un rythme, une musique, dans vos récits que j’entends comme l’expression de
l’usage de votre liberté et de votre responsabilité professionnelle.
PROCESSUS : L’histoire que commence un acte se compose
des faits et des souffrances qui le suivent. Ces conséquences sont infinies,
car l’action, bien qu’elle puisse, pour ainsi dire, venir de nulle part, agit
dans un médium où toute action devient réaction en chaine et où tout processus est
cause de processus nouveaux. (Hannah Arendt 1961). Nous entrons ainsi
dans le jeu de l’interhumain. Qui commande
l’autre ? Qui est au service de l’autre ? Qui dit quoi à
qui ? Qui influence qui ? Au nom de quoi ? Le jeu du vrai et du
semblant ? Le dévoilement se livrant
sans doute sur le mode de l’insaisissable : on ne sait pas vraiment
ce qui marche, on essaie, disiez-vous.
DÉPENDANCE : Rapport qui
fait qu’une chose dépend d’une autre = interdépendance, solidarité. Et son
contraire : le fait pour une personne de dépendre de quelqu’un ou de
quelque chose : assujettissement, esclavage, ou encore addiction.
Une question que j’aurais
aimé mettre au travail avec vous :
Comment se sépare-t-on de vous ?
RÉSEAU : Filet de
sécurité pour éviter la chute ou enfermement clanique, tel un réseau mafieux ou
de résistance. À Babel, chacun est en position d’avoir à s’en libérer ou à tisser et retisser les mailles de son filet
pour qu’il devienne assez soutenant sans être enfermant. Personne ne peut
survivre bien sans un réseau minimum, sorte de base de sécurité en cas de coup
dur ; et l’on sait que ceux dont le filet de protection est troué, ou trop
resserré, ceux-là devront, finalement, et presque forcément, être inclus dans
des dispositifs de protection psycho-sociale, que ce soient les CPAS, les
institutions d’accueil, les refuges, les hôpitaux psychiatriques ou les prisons,
etc.
Voir à
ce sujet l’outil de la « carte de réseau » à construire avec un
consultant à partir d’un cercle partagé en 4 quadrants.
Ce que je retiens comme
dernière image de ce que les professionnels
nous ont renvoyé aujourd’hui de leur travail à Babel, ce serait en
référence à la poétesse Ingeborg Bachmann (Poèmes 1942-1967, Gallimard 2015) et au titre
d’un de ses poèmes :
ToutE personne qui
tombe a des ailes